"Ça me dérange vraiment de vous parler de moi. J'ai l'impression d'être aux alcooliques et qu'il faut que je me présente avec ce ton gêné/honteux/repentissant... Non attendez, mauvais exemple... En fait, çe qui me dérange c'est parler des gens qui m'entourent, en particuliers ma famille. Voilà, c'est ma famille qui me dérange. Ils sont tellement frappés que j'ai peur que vous pensiez que je sois dingue aussi. Ce qui n'est pas le cas... Enfin, vous en jugerez vous même. Mes parents sont d'éternels artistes incompris. Ils sont tellement excentriques aussi... Ma mère est passionné par le mime et elle ne parle presque jamais. Quand je l'entend, elle engueule tous ceux qui passent devant elle. Quand elle a épousé mon père, elle a renoncé à une carrière dans une troupes de mimes danseurs. Un tout nouveau principe qu'elle qualifiait d'innovant mais que je qualifierai plutôt de carrément chelou... Mais bon, à chacun sa vocation... Mon père est... Encore plus spécial. Il a eu un succès fulgurant durant son adolescence car il avait une voix qui selon lui pouvait décoiffer les chignons les plus rigides des diaspora d'opéra. Il chante toujours, mais a abandonné toute idée de carrière internationale. Il a toujours eu un penchant féminin qui a pris tout son sens quand il a fait son coming out il y a dix ans. Mon père s'est rendu compte qu'il s'était planté dans son orientation et c'est grâce à son coiffeur, Frank, qu'il s'en est rendu compte. Ça fait tellement cliché que je peux comprendre di vous ne me croyez pas. Mais c'est bien la vérité, je n'ai aucun intérêt à mentir sur les traumatismes de mon enfance. Enfin, ce n'est pas vraiment un traumatisme, mais plutôt un souvenir plus ou moins amer. Bref, mes parents dont des artistes. Ma grande soeur par contre n'a d'artistique que sa coiffure et ses chaussures qu'on aurait dit sorties tout droit des fantasmes interdits d'un sculpteur psychédélique des seventies. Je remercie le ciel qu'elle soit née avant moi et dans le même mois, sinon j'aurais été affublée du nom d'April à sa place. Sérieusement, j'aurais jamais supporté m'appeler comme un mois de l'année. C'est comme s'appeler comme un aliment ou une fleur. Genre s'appeler Honey ou Rose, ça casse pas trois pattes à un canard. Non seulement on te ressortira éternellement les mêmes blagues, mais en plus s'appeler Rose vous interdit formellement de sortir avec un Jack. En plus on vous offrira tout le temps des roses parce que c'est votre symbole et bla et bla...
Bon, revenons-en à ma soeur. Elle a bientôt trente ans et crise parce qu'elle ne veut pas abandonner son "2" pour un "3". Selon elle, c'est déjà mettre un pied dans la tombe... Sur un coup de tête, elle avait déménagé à Los Angeles pour vivre le rêve américain. Après quelques galères et opérations, elle a trouvé une Green Card et un mari : son chirurgien esthétique. La première fois que je l'ai revu après son depart, elle s'était métamorphosée en bimbo. De brunette un peu plate comme moi, elle est passée à blonde plantureuse. J'hésitais à la rebaptiser "Silicon Valley" ou "Botox City", mais elle était tellement heureuse que ça lui serait passé au dessus. J'ai réalisé alors que j'étais la seule à peu près censée . C'est pour ça que j'ai quitté le cocon familial et l'Angleterre.
Enfin, aussi parce que ma mère s'était trouvée un nouveau copain que je ne pouvais pas blairer et aussi parce que je ne pouvais plus supporter mon renvoi de l'école de danse où j'étais, mais ça c'est une autre histoire. J'ai donc décidé de déménager et aller faire mes études ailleurs, là où personne ne pourrait m'emmerder. Je pensais d'abord à l'Australie, mais ma soeur aime tellement le soleil qu'elle et son tireur de vieille peau viendraient me squatter. Alors il ne me restait plus qu'à me rendre au Canada. Je savais que là bas ma famille ne me rattraperait pas, et puis je préfère le snowboard au surf. J'ai débarqué à Thunder Bay à dix-huit ans tout juste. J'ai renoncé à poursuivre mon rêve de danseuse pro, et j'ai fait des études de langues et civilisations étrangères. J'ai quitté la fac il y a quelques mois et j'espérais trouver du travail dans le tourisme, mais j'ai enchaîné les stages sans qu'on me propose d'emploi. Et finalement me voilà ici à servir des verres de Whisky à tous les alcolos du coin. Je sais, j'ai raté ma vie. Je devrais pas me laisser dépérir au milieu de bouteilles, je devrais être sur scène !"

Shay soupira en terminant son récit. Elle leva le yeux vers son interlocuteur qui etait plutôt étonné qu'elle se soit ainsi confiée à lui. Il sourit, ce sui rassure la jeune femme. Il n'a pas envie de s'enfuir. "Vous terminez votre service à quelle heure ?" demanda-t-il. Elle le regarde, intriguée. Il voulait l'inviter à sortir ?
"22 heures." répond-elle, méfiante. Il regarde l'heure, puis lui indique l'horloge. Elle finissait cinq minutes après. Elle sourit. "J'accepte alors ! -Accepter quoi ? - Ta proposition voyons !" Il rigole et ajoute qu'il s'appelle Dany. "Bien alors, Dany, tu vas m'attendre devant ? Je vais me changer."
Shay se dirige vers les vestiaires presque en sautillant. Elle se change en quatrième vitesse avec une seule idée en tête : elle ne passera pas la soirée seule.