Le cri strident du réveil tira Ian de la douceur du sommeil. L'air glacé s'empara aussitôt de lui, l'arrachant sans vergogne à la chaleur de ses rêves.
Rassemblant le peu de volonté qui l'animait, il se redressa dans son lit en se frottant les yeux. La lumière rouge sang du réveil semblait le narguer, faisant clignoter ostensiblement le 5.01 a.m.
Ian était crevé. Il n'avait plus que deux envies : se blottir contre sa petite amie, et se rendormir. Mais il ne pouvait pas, il ne fallait pas; il était grand temps de se préparer.
Il se pencha, déposant un baiser sur la joue de June qui faisait semblant de dormir. Elle ne pouvait pas décemment faire croire ne pas avoir été réveillée par la sonnerie, mais elle était sûrement fâchée qu'il l'abandonne encore une fois à cinq heure du matin, comme toutes les rares fois où elle avait eu le droit de dormir chez lui. Ian le savait, elle vivait mal le fait qu'il mette toujours le hockey en premier plan. Le reste ; son couple, sa santé, ses cours, ses rêves, les sorties entre amis; tout cela passait bien après. Mais elle ne pouvait pas comprendre, c'était vraiment important pour lui.

Ian enfila un caleçon en sautillant puis sortit de la chambre en trébuchant, faisant encore une fois preuve de sa discrétion légendaire.
La grande maison était plongée dans la pénombre. Prit d'un frisson, le jeune homme appuya sur l'interrupteur. La lumière l'aveugla un instant, puis le couloir dans lequel il marchait lui apparut plus nettement, dévoilant l'horrible papier peint à motifs écossais recouvert de photos encadrées. Sacha à la remise des diplômes. Sacha portant triomphalement la coupe de son équipe de hockey. Sacha tenant fièrement son appareil photo de journaliste. Les diplômes de Sacha.
En cherchant bien, on finissait par trouver des photos de Ian. Uniquement si Sacha figurait également dessus, bien sûr. A l'exception tout de même d'une photo où il était seul, enlaçant une jolie blonde.
Il s'agissait de Kate, l'ex-petite amie de Ian. Une fille raffinée et emmerdante, progéniture d'un riche politique Canadien. Pour ses parents, c'était apparemment la seule réussite que Ian avait remporté depuis qu'il était né. Ils ne lui avaient d'ailleurs jamais pardonné d'avoir quitté Kate, au bout d'un an de la relation la plus fausse qui puisse exister. Il était passé à autre chose depuis bien longtemps, et avait maintenant une petite amie géniale, mais ses parents s'en battaient pas mal. A vrai dire, ils cherchaient tous les arguments les plus foireux pour qu'il décide de la quitter.
Ian continua son chemin, évitant soigneusement de regarder la photo du jour où on l'avait forcé à porter un kilt pour son premier jour au collège, et entra dans la cuisine. Il cassa des œufs et les mit dans une poêle. Mais quand il alluma le gaz, les flammes firent une déflagration puis s'élevèrent jusqu'au plafond.

« PUTAAAAAIN! »

Ian avait fait un bond en arrière d'au moins 3 mètres. Regardant les flammes lécher le plafond, il finit quand même par se dire qu'il fallait faire quelque chose, et entreprit de remplir une cruche et de la balancer dans les flammes. Ce fut au moins aussi efficace que de mordiller son crayon pour en tailler la mine.
Se sentant un peu couillon, Ian regarda les flammes reprendre de plus belle. Et puis, tout d'un coup, elles s'évanouirent. Comme ça. Toutes seules.
Le jeune homme éteignit le gaz, et balança ses œufs cramés/mouillés à la poubelle avec un air blasé.
Ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait. A vrai dire, depuis le jour où il s'était prit un éclair dans la gueule, allumer un simple briquet en sa présence était du terrorisme. Au début, il pensait à de la simple malchance. Et puis, il fut obligé de croire à ces histoires de pouvoirs, à force de faire exploser ses briquets. Il faisait maintenant de son mieux pour cacher tout ça à ses proches; Sacha traquait les "super héros" et faisait de leur vie un cauchemars en les transformant en véritables bêtes de foires. Il n'hésiterait pas à en faire de même avec son propre frère; s'ils s'aimaient beaucoup, sa carrière passait avant tout. Les parents ne voudraient certainement pas de quelqu'un ayant une telle tare chez eux, et June flipperait sûrement. Mais lui cacher ses brûlures devenait de plus en plus difficile.