Doucement, je pousse la porte fenêtre qui donne sur le jardin, sortant lentement dans le froid. Mes yeux scrutent l'obscurité du jardin, je frissonne déjà mais je ne fais pas demi tour. Enfin, je trouve celle que je cherche. Je savais qu'elle serait allée se réfugiée là bas, elle le faisait toujours quand elle était peinée ou anxieuse. Debout, ses cheveux blonds brillant dans la nuit, elle me tourne le dos, scrutant la ligne des montagnes au loin, son point de vue préféré. Doucement, je m'approche, mais plus sa silhouette devient nette, plus je me rends compte avec effarement que je ne sais absolument quoi lui dire. Mais je dois aller la voir, je n'ai pas d'autres choix. « Siobhán ... ». Elle se retourne vivement, les yeux baignés de larmes. Mais elle ne perd rien de sa fierté et me toise. « Tu es au courant, n'est-ce pas ? ». Je hoche la tête, soulagée qu'elle aborde le sujet d'elle même. « Les parents viennent de m'expliquer...et ça ne change absolument rien. ». Elle fait un pas en avant, se rapprochant encore plus de moi, et je peux lire la colère sur son visage. « Ça ne change rien ?! Tu penses vraiment ce que tu dis June ?! Comment tu réagirais si tu étais à ma place, hein ? Si c'était à toi qu'on avait menti depuis des années ? ». C'est une bonne question, une très bonne question. Mais je ne dois pas laisser mon trouble paraître, je dois désamorcer ce drame familial, sinon, il n'y aurait plus de famille justement. « Oui, je pense ce que je dis, ça ne change rien, tu restes ma sœur. Et je suis sûre que nos parents pensent comme moi, nous avons des liens plus fort que la génétique. ». Un rictus traverse son visage, les paroles que je veux rassurantes ne font juste que la perturber un peu plus. « Écoutes toi parler !! La merveilleuse petite June, et ses chers parents, cette parfaite petite famille. Vous me dégoûtez avec votre hypocrisie à la con ! Vous avez bien dû vous foutre de ma gueule, toutes ces années. Et moi, comment je n'ai rien pu voir ? Hein ? La seule blonde au milieu de toute la famille de rouquins, ça aurait du me mettre la puce à l'oreille. ». Je veux poser ma main sur son bras, la réconforter mais elle a un geste de recul. Je suis blessée, je sens les larmes me monter aux yeux mais je me force à parler d'une voix égale. « Shiobàn, j'ai appris que tu avais adoptée, il y a moins de 5 minutes. Et je persiste à dire que ça ne change rien pour moi, ni pour eux, je suppose. Nous sommes sœurs, nous sommes leurs deux filles, il n'y a rien à ajouter. ». Mais elle ne se laisse pas amadouer, et ne semble pas croire une minute en ma sincérité. « Tu ne comprends pas June. Ils m'ont adoptée parce qu'il s pensaient qu'ils ne pouvaient pas avoir d'enfant. Et j'ai vraiment dû être leur petit rayon de soleil pendant un an. Mais ensuite tu es née, leur enfant biologique, et là, je suis sûre qu'ils se sont mordus les doigts de ne pas avoir attendu un peu pour adopter. ». Elle est si amère, si triste, que je devrais continuer à la réconforter mais des vieilles réminiscences de notre rivalité ressortent, me faisant répliquer, plus méchamment que je ne l'aurais voulue. « Et alors, quoi ? C'est de ma faute maintenant ? Je n'aurais pas dû naître pour que ta vie soit parfaite ? ». « Tu sais que tout notre vie n'a été qu'une compétition pour savoir qui serait la meilleure des filles Callaghan, et là, je ne peux plus lutter, tu viens de marquer l'ultime point. ». J'affiche une intense expression de stupeur que seule la nuit dissimule. « Alors, c'est à ça que se résume notre relation ? Jalousie et rivalité ? Tu n'y es pas du tout, ma pauvre». Méprisante, oui, mais je n'en revenais pas de ce qu'elle osait dire. Pour la première fois, elle a détourné les yeux. « Laisse tomber June, juste laisse tomber. ». Elle n'a rien ajouté, elle a tourné les talons, sans me regarder et elle a disparue dans la nuit.

Le lendemain, quand nous nous sommes réveillés, elle était partie, pour de bon, prenant ses affaires les plus précieuses. Cela pouvait paraître excessif mais je crois qu'au fil du temps, j'ai réussi à la comprendre. Shiobàn était au bord de la crise de nerfs, avant de découvrir, par hasard, qu'elle avait été adoptée, alors ça avait juste dû être la goutte qui avait fait débordé le vase. Elle s'était mise trop de pression, elle attendait trop d'elle même, et notre rivalité n'avaient pas dû arranger les choses. Mais elle avait quelque chose que je n'avais pas, c'était la détermination. Et au final, elle a tenu bon, elle n'est pas revenue, se construisant sans doute une autre vie, loin de Thunder Bay. Mes parents sont dévastés et je crois que ma mère n'a cessé de lui téléphoner à l'aide de son numéro de l'époque, mais elle n'a jamais répondu. Elle a juste disparu, je crois que têtue, elle n'a pas voulu faire marche arrière après un départ hâtif. Le problème, c'est que ça va faire désormais presque deux ans qu'elle n'a pas donné signe de vie. Et autant, dire que je me sens coupable.